L'inhibine
est une vieille hormone puisqu'elle a été inventée
en 1932 par McCullagh, qui travaillait, comme l'équipe
de Zondek, sur la physiologie des gonadotropines. Les deux formes
de celles-ci, FSH et LH venaient d'être caractérisées
par leur activité biologique.
Mais
il fallut plus de 50 ans pour que l'inhibine elle-même
soit identifiée, et 10 ans de plus pour qu'on dispose
de dosages spécifiques et sensibles ouvrant un nouvel
espace à l'investigation clinique. Pourquoi un tel délai
?
Pendant
ces 50 années d'effort, les investigateurs, Franchimont
en tête, ont cherché à isolé à
partir des extraits testiculaires (puisque c'était le
milieu utilisé par McCullagh), une fraction purifiée
à haute activité inhibitrice sur la sécrétion
de FSH. Hélas, tantôt les expériences étaient
prometteuses, tantôt elles étaient complètement
négatives, sans qu'on puisse trouver de raison à
ces discordances.
On
sait maintenant, grâce à la biologie moléculaire
qui a permis d'aller des gènes aux ARN et aux protéines,
que les gonades, à partir des mêmes gènes,
peuvent fabriquer des substances inhibitrices de la sécrétion
de FSH, les inhibines, et des substance activatrices, les activines.
Et voilà pourquoi les expériences fondées
sur l'activité biologique des extraits tissulaires étaient
muettes bien souvent.
Maintenant,
activité biologique et activité immunologique
des différentes molécules de la famille inhibine
sont bien caractérisées et les cliniciens ont
à leur disposition des moyens d'investigation raffinés,
même si ces dosages ne peuvent encore être mis entre
toutes les mains.
Marc
ROGER
PORTRAIT
I- LA DECOUVERTE DE l inhibine ou 1 = 5
Il
existe 3 gènes codant pour linhibine, dont lexpression
mène à la production de 3 peptides différents
a, ßA et ßB qui vont fomer les sous-unités
des molécules matures.
La
combinaison des sous-unités a, ßA et ßB donne
naissance à 5 protéines différentes: 2
inhibines et 3 activines.
Les
inhibines sont formées de l'union de 2 sous-unités
par des liaisons disulfures: d'une part une sous-unité
a de 18 kDa (133 amino-acides), commune aux deux inhibines,
et d'autre part une sous-unité ß spécifique
de 14 kDa, ßA (116 amino-acides) pour l'inhibine A, et
ßB (115 amino-acides) pour l'inhibine B.
Les
activines sont constituées par l'union grâce à
des ponts disulfures de 2 sous-unités ß, pour former
des homodimères ßAßA (activine A) ou ßBßB
(activine B) ou un hétérodimère ßAßB
(activine AB).
II- Inhibines et activines dans le sang
Dans
le sang inhibines et activines circulent en grande partie liées
à des protéines, l' a -2-macroglobuline et la
follistatine.
L'
a-2-macroglobuline n'est qu'une protéine porteuse qui
n'intervient pas en elle-même dans l'activité des
inhibines et activines La follistatine est une glycoprotéine
monomérique connue pour inhiber la sécrétion
de FSH. La follistatine immunoréactive est présente
dans le liquide folliculaire et dans le plasma séminal
des hommes normaux et des azoospermes. La vasectomie ne diminue
pas sa concentration dans le plasma séminal, ce qui laisse
penser que la prostate et/ou les vésicules séminales
en sont la source principale.
Comme
les inhibines et les activines, la follistatine semble être
synthétisée non seulement dans les gonades mais
aussi dans d'autres tissus, comme l'hypothalamus, l'hypophyse,
le rein, les surrénales et le placenta. Son activité
biologique principale est en rapport avec sa haute affinité
pour l'activine, dont elle bloque ainsi l'activité. En
revanche sa liaison avec l'inhibine n'annule pas l'action de
l'inhibine.
III- L inhibine est elle reeLlement un ihibiteur de la FSH ?
Sur
des cellules hypophysaires en culture, les activines stimulent,
à l'opposé de l'inhibine, la production de FSH,
doù leur nom. On connaît leurs récepteurs
qui sont des protéines transembranaires à activité
intrinsèque sérine/thréonine kinase.
Les
récepteurs des inhibines n'ont pas encore été
totalement caractérisés. On sait toutefois que
l'inhibine peut se lier au récepteur II de l'activine
et exercer une action anti-activine par le fait qu'elle n'entraîne
pas le recrutement des récepteurs de type I. D'autres
protéines membranaires ont été récemment
décrites, qui pourraient représenter des récepteurs
spécifiques, distincts des précédents,
sans connexion fonctionnelle avec l'activine.
Au
total, la conception qui se fait jour actuellement est que les
inhibines nexercerait leur effet de rétrocontrôle
négatif sur la FSH quen bloquant laccès
des activines à leurs récepteurs.
Quoi
quil en soit de multiples expériences ont démontré
le rôle inhibiteur physiologique des inhibines, dailleurs
l'inhibition de la production de FSH in vivo ou in
vitro reste encore aujourd'hui le seul dosage biologique
des préparations d'inhibine.
Au
cours du cycle menstruel, l'action freinatrice de l'inhibine
B sur la sécrétion de FSH est évidente:
au mileu de la phase folliculaire les taux de l'inhibine B atteignent
un point culminant et à ce moment-là, les taux
de FSH commencent à baisser. L'inhibine B succède
donc chronologiquement à l'estradiol comme régulateur
principal de la sécrétion de FSH, puisqu'au début
du cycle c'est la chute de l'estradiol et non celle de l'inhibine
A qui permet l'élévation de FSH nécessaire
au recrutement des follicules.
Le
rôle inhibiteur de l'inhibine B sur la sécrétion
de FSH est aussi démontré, a contrario, par l'élévation
des taux de FSH chez les sujets castrés, et par l'augmentation
significative des taux de FSH chez les femmes encore réglées
mais approchant de la ménopause: leurs taux d'inhibine
B sont abaissés, alors que ceux d'estradiol, quoique
plus élevés que ceux des femmes jeunes, n'ont
pas d'effet freinateur.
Le
rôle freinateur de l'inhibine A est moins bien démontré
dans les situations physiologiques. Certes des doses pharmacologiques
d'inhibine A recombinante chez le macaque diminuent les taux
de FSH et retardent l'ovulation.
IV- INHIBINE A, INHIBINE B
Les
gonades sont le site principal de production comme l'ont montré
de multiples expériences.
Dans
le testicule, la cellule de Sertoli semble être le site
majeur de production de l'inhibine. Bien que les ARN messagers
des sous-unités soient présents dans les cellules
de Leydig, celles-ci ne semblent pas contribuer significativement
aux taux circulants. Ce qui est important sur le plan sémiologique,
c'est que chez le mâle, seule l'inhibine B est détectable
dans le sang et peut donc représenter un index d'activité
gonadique.
Dans
l'ovaire, bien que la sous-unité a des inhibines ait
été détectée dans les cellules de
la thèque, de multiples observations ont montré
que les cellules de la granulosa étaient la source principale
des inhibines. La production des deux inhibines est très
différenciée. L'inhibine B est une production
exclusive des follicules non lutéinisés, son apparition
dans le sang au cours du cycle est contemporaine de la phase
de recrutement folliculaire et sa production disparait pratiquement
après l'ovulation. Au contraire, l'inhibine A apparait
avec la sélection du follicule dominant et son taux croît
selon la même cinétique que l'estradiol, pour culminer
en phase lutéale. Sur le plan sémiologique, inhibine
A et B ont donc des significations très différentes.
Les
gènes des sous-unités des inhibines sont exprimés
dans de nombreux tissus extra-gonadiques où les inhibines
exercent diverses fonctions paracrines et autocrines . Les gènes
des sous-unités sont exprimés notamment dans l'hypophyse
et aussi dans d'autres glandes endocrines comme les surrénales.
Mais la production à partir de ces glandes ne contribue
pas significativement aux taux sériques des inhibines
comme le démontre l'absence d'inhibine immunoréactive
chez les sujets castrés.
En
revanche le placenta est une source importante d'inhibine sérique
tout le long de la grossesse. La production placentaire est
essentiellement sous forme d'inhibine A.
II- L'INHIBINE en PRATIQUE CLINIQUE
Le
dosage de linhibine A est utilisé dans deux circonstances,
- dune
part au cours de la grossesse, linhibine A est un marqueur
placentaire du risque de trisomie 21 ftale passablement
utilisé dans les pays anglo-saxons, mais pratiquement
pas en France puisquil nest pas prévu par
la réglementation qui encadre cette activité,
- dautre
part, dans le bilan des tumeurs ovariennes, où linhibine
A est présente dans 20 à 80 % des cas, selon
la forme histologique.
Surtout
le dosage de linhibine B au 2ième
3ième jour du cycle, sest imposé
comme un index de la réserve ovarienne, ses taux étant
comparés à ceux de la FSH. En fait, après
un certain nombre de publications triomphalistes, il semble
quon sachemine vers une conception raisonnable:
le taux de linhibine B est un bon reflet de la fonction
ovarienne, mais n est pas prédictif des résultats
des protocoles dAMP.
Chez
lhomme
Le
taux de linhibine B est un excellent index de la fonction
sertolienne, et les taux effondrés sont toujours de mauvais
pronostic. Ainsi, dans le syndrome de Klinefelter, ou le syndrome
de Sertoli Cell Only, où les anciens dosages polyclonaux
trouvaient des taux normaux dinhibine immunoréactive,
linhibine B est souvent indétectable.
Chez
lenfant
Dans
l'exploration d'une ambiguïté sexuelle, la présence
des marqueurs testiculaires: testostérone, hormone anti-mullérienne,
mais aussi inhibine B, permet d'affirmer la présence
de structures testiculaires, notamment lorsqu'on suspecte un
hermaphrodisme vrai. A l'opposé, l'absence d'inhibine
B en période immédiatement post-natale est un
fort argument contre la présence de tissu testiculaire.
Le meilleur exemple en est l'absence de testicules palpables
à la naissance chez un enfant à phénotype
masculin: l'inhibine B est toujours mesurable chez les cryptorchides,
elle est indétectable chez les anorchides.
Chez
les enfants développant une puberté précoce
par maturation gonadotrope prématurée, les taux
de l'inhibine B correspondent au stade pubertaire clinique atteint.
Chez les filles, le traitement par un agoniste de GnRH ramène
la sécrétion de l'inhibine B au niveau ante-pubertaire.
A l'inverse, chez les garçons, les taux élevés
pré-thérapeutiques sont à peine abaissés
après 6 mois de traitement.
VII- CONCLUSION: QUAND DOSER L'INHIBINE et LAQUELLE ?
Chez
la femme :
- devant
toute suspicion de tumeur ovarienne, doser linhibine
B et éventuellement linhibine A
- dans
les protocoles dAMP, doser linhibine B en tout
début de cycle, pour évaluer la capacité
sécrétoire ovarienne, dite " réserve
ovarienne "
- au cours de la grossesse, on peut doser linhibine A en même temps que les autres marqueurs sériques maternels de trisomie 21 ftale, dans le cadre détudes prospectives.
Chez lhomme, doser linhibine B dans lexploration des hypogonadismes et des infertilités. Linhibine A nest pas détectable chez lhomme.
Chez
lenfant, doser linhibine B dans les syndromes
dambiguïté sexuelle en même temps
que lAMH, (voir la fiche AMH de labécédaire),
et dans les syndromes de précocité sexuelle.
Najiba
LAHLOU
I comme Inhibine
Fiche d'identité
|
INHIBINE
A
|
INHIBINE
B
|
Nature
|
Glycoprotéine
hétérodimérique
|
Glycoprotéine
hétérodimérique
|
Sources
|
Ovaire
et placenta
|
Gonades
|
Sécrétion
|
Pulsatile
|
Pulsatile
|
Formes
circulantes
|
Libre et liée à l'a2-macrobuline
|
Libre
Liée
à l'a2 macroglobuline
Liée
à la follistatine
|
Demi-vies
|
14
et 70 minutes
|
|
Taux
sériques pg / ml
|
femme
PF 1° semaine < 2 - 20
PF
2°semaine 8 - 40
Pic
20 - 80
PL
15 - 100
homme:
indétectable
|
femme
PF 1° semaine <10 - 300
PF
2°semaine 30 - 200
Pic
100 - 80
PL
< 6 - 35
ménopause
< 6
homme:
70 - 330
enfant:
garçon 3 - 6 mois 100-300
fille
3 - 6 mois < 12
|
Récepteurs
|
Pas
de récepteur identifié
|
Pas
de récepteur identifié
|
Fonctions
|
A
dose pharmacologique, inhibe la sécrétion
de FSH. Rôle physiologique incertain
|
Inhibe
la sécrétion de FSH
Sans
action sur LH
|
Utilisation
diagnostique
|
femme:
- marqueur de la croissance folliculaire et de la phase
lutéale
-
marqueur du risque du trisomie 21 foetale
-
marqueur des tumeurs ovariennes
homme:
sans objet
|
femme:
- marqueur du recrutement folliculaire et de la réserve
ovarienne
-
marqueur des tumeurs ovariennes, notamment granulosa
homme
: - index de la fonction sertolienne
enfant::
- index de précocité sexuelle
-
marqueur testiculaire en période néonatale.
|
|